AMNESIE FRANÇAISE

Cette année encore, la bataille d’Austerlitz, le 2 décembre 1805, n’aura été rappelée par aucun des grands médias, comme s’il était capital d’occulter une époque où la France avait su imposer à l’Europe son humanisme, passât-il par la violence des armes.

 


 On doit s’interroger sur les raisons et les conséquences d’une amnésie si française et si contraire à la nature même de l’Histoire, science exacte tant qu’elle s’en tient aux faits et détestable manifeste lorsqu’elle est revue pas les exégètes à travers leur prisme idéologique. Notre époque a choisi la seconde vision pour rendre compte de notre passé à partir du postulat majeur, imposé par les « humanistes » que la Révolution marque une « année zéro » abolissant tout ce qui lui était antérieur. Cette vision, bien peu scientifique, est désormais la vulgate de notre instruction publique où des pans entiers de l’Ancien Régime sont résumés dans les manuels scolaires en quelques images et jugements lapidaires. Il ne fait aucun doute que nos tant vantés « hussards noirs » de la IIIe République, seraient horrifiés du saccage de la mémoire nationale perpétré par les idéologues qui ont remplacé les Lavisse, Malet & Isaac, voire Lagarde & Michard, chantres émérites du passé de la France où en toute honnêteté doivent se mêler ombres et lumières dans la froide impartialité du « Réel ».

austerlitz

 Ainsi, pour nos modernes exégètes, la France a émergé à la fin du XVIIIe siècle de quelque mille années d’obscurantisme. Soit. Mais alors appliquons le postulat dans toute sa rigueur et la césure historique introduite par la Révélation de 1789 doit être nette et honnête : avant elle égale « mauvais », après elle égale « bon », Napoléon 1er y compris. Mais l’opprobre sur Austerlitz contredit cette interprétation pourtant recommandée dans les programmes scolaires et l’on ne comprend plus pourquoi l’Empereur est banni comme n’importe quel pré-révolutionnaire… Certes, il avait pris le pouvoir de manière un peu vive pour en finir avec la « chienlit » d’après 89. Mais oublie-t-on que son exemple avait suscité beaucoup d’espoirs et secoué les tyrannies dans tant de pays d’Europe qu’il ne pouvait être totalement mauvais pour ses contemporains. A preuve, la liesse des Italiens pressentant avec sa venue la fin du joug autrichien ou l’hommage du grand Beethoven par son concerto « L’Empereur » (renié sur le tard…).

 La faute de Napoléon serait-elle d’avoir rendu un temps à la France son rang en Europe, parmi les puissances jalouses de son redressement économique et politique ? Faut-il lui reprocher, avec tant de victoires pour la Liberté, d’avoir rendu leur honneur aux armées de la république, souillées par les ordres abjects de la Terreur et par le génocide vendéen ?

 Le bi-centenaire d’Austerlitz en 2005 a été ostensiblement boudé par la France, à la différence des autres nations impliquées dans le conflit pan-européen de l’époque. Cette marque appuyée d’une « repentance » imposée par nos modernes exégètes semble durablement inscrite dans le calendrier mémoriel de la France. Seuls, les saint-cyriens lui restent fidèles ainsi que les Français de longue mémoire.

 Mais qu’en est-il des jeunes générations à qui l’on enseigne une France humiliée par d’innombrables contritions et dépouillée, au profit de l’idéologie, des faits qui l’ont construite : victoires ou défaites, hommes d’Etat ou pauvres figurants, aussi nombreux en monarchie qu’en république ? Sur leur culture sans racines, fragilement fondée sur quelques abstractions grandiloquentes, que pourra croître sinon l’aspiration à servir une cause quelconque – magnifique ou maléfique – qui répondrait à leur besoin quasi biologique d’engagement ?

 Devant une jeunesse a-culturée qu’ils ont privée de cap et de carte au sein même de leur patrie – fût-elle d’adoption – nos pédagogistes et les idéologues qui les inspirent comprendront-ils un jour les conséquences de leur manipulation de l’Histoire de France ?

                                                                                                               Christian Vauge